La semaine dernière s’est tenue à Bruxelles la première conférence « Traduire l’Europe », organisée par la Direction Générale de la Traduction (DGT), l’une des directions de la Commission Européenne. Pendant deux jours, représentants académiques de la traduction (représentants des principales universités européennes), employés de la DGT et professionnels (entreprises de traduction) se sont réunis pour faire le point sur les différentes problématiques auxquelles le secteur est confronté.
S’adapter aux innovations technologiques
La présentation dédiée à l’innovation a dressé le portrait des enjeux technologiques que rencontrent les professionnels de la traduction. Les outils de TAO (traduction assistée par ordinateur) ne font plus partie des innovations tant ils sont ancrés dans les usages de la traduction professionnelle. La post-édition après traduction automatique (Machine Translation), quant à elle, n’est même plus un sujet de prospective : c’est une réalité et de nombreuses entreprises (clients finaux et sociétés de traduction) utilisent déjà cette nouvelle méthodologie. Françoise BAJON, Présidente d’ELIA et CEO de l’entreprise de traduction française Version internationale, regrette que les toutes dernières innovations techniques qui vont sans aucun doute avoir des répercussions fortes sur le secteur n’aient pas été abordées. Du moteur de traduction automatique gratuit « Google Traduction » à l’interprétariat gratuit de Skype, ces innovations représentent des avancées technologiques majeures, et leur mise à disposition sans aucun coût représente une concurrence frontale pour l’ensemble des professionnels. La perception de la valeur ajoutée d’une traduction et d’une interprétation va obligatoirement être impactée par ces outils, et les clients d’aujourd’hui risquent de modifier leurs comportements d’achat et leurs attentes. Comment va et peut réagir la profession ?
Quid de la propriété intellectuelle
Le débat sur la propriété intellectuelle des traductions fait son grand retour. Serpent de mer depuis des années, ce sujet apparaît de plus en plus difficile à traiter pour les partisans d’une reconnaissance de la propriété intellectuelle du traducteur. Étayée par l’étude du cabinet Bird & Bird sur ce thème, la discussion menée par la Commission revient sur la définition et les possibilités d’application de la propriété intellectuelle en traduction. En effet, l’utilisation accrue de technologies et la méthodologie classique de la traduction professionnelle (Traduction – Edition – Relecture) rendent la traçabilité de la propriété intellectuelle – définie en tant que protection d’une œuvre originale – extrêmement complexe. Dans un processus où la division des tâches est garante de qualité, l’éditeur devrait-il avoir tout le crédit de la traduction ? Ou bien est-ce le traducteur, malgré les corrections apportées par l’éditeur, qui devrait en rester propriétaire ? Le client, qui achète le texte produit, ne peut-il pas prétendre être, in fine, le seul propriétaire du texte traduit ? De plus, en ce qui concerne plus particulièrement la traduction technique, comment attribuer une quelconque propriété intellectuelle lorsqu’une phrase est générée en partie par traduction automatique, en partie par utilisation d’une mémoire de traduction (fuzzies) et dans laquelle la terminologie est imposée ? La propriété intellectuelle, vraie question pour les œuvres littéraires, peut-elle vraiment s’appliquer aux autres types de traduction ?
Traduction et chômage
Le bilan sur l’employabilité des jeunes traducteurs en Europe est alarmant. L’étude de McKinsey souligne clairement que cette employabilité est corrélée à la connaissance des réalités professionnelles du métier. Françoise BAJON, membre du panel abordant cette problématique, préconise fermement l’immersion (stage) ou la présentation en détail des réalités du métier aux novices, afin d’éviter les frustrations et reconversions des jeunes diplômés très tôt après l’obtention de leur diplôme. Elle souligne également le constat général en Europe que font les entreprises au moment de recruter un traducteur : la détérioration constante de la maîtrise de leur langue maternelle rend certains jeunes diplômés inemployables dans leur cœur de métier, ou impute une charge de formation importante aux entreprises. Ces lacunes génèrent aussi de grandes fragilités, autant pour les jeunes diplômés salariés que pour les indépendants (traducteurs freelances).
Rendez-vous l’année prochaine
La conférence « Traduire l’Europe » devient annuelle. Elle devrait en outre accueillir également des traducteurs indépendants. Alors… à l’année prochaine !
*Informations extraites du rapport Education to employment Getting Europe’s youth into work full report [téléchargable] de McKinsey
Voir page 103-104 pour les données statistiques ayant servi de base à l’enquête.