Tous les traducteurs vous le diront : la traduction du texte que vous demanderez ne sera pas de longueur égale à celle du texte original. Un phénomène d’inflation bien connu des linguistes et qui s’explique naturellement par le passage d’une langue à une autre : les mots fourmillent. Techniquement, on parle de taux de foisonnement. Explications.
Ainsi donc, les mots auraient la langue bien pendue et, en empruntant les chemins de la traduction, en profiteraient pour se délier. Se muscler. Se dilater. S’épaissir. Alors comme ça, ils croissent pour se montrer toujours plus nombreux à l’arrivée ?
Cette augmentation de volume, depuis la langue source vers la langue cible et spécifique à chaque combinaison de langues, se définit comme le pourcentage d’augmentation ou de réduction que présentera le texte une fois traduit. Il dépend de la langue à traduire.
En pratique, une traduction de l’anglais vers le français donne un taux de foisonnement de +20 % et oscille entre +25 % et +30 % pour l’allemand. Quant aux langues latines, c’est l’inverse : le volume de mots obtenus en traduction diminue d’environ 10 % lorsqu’il s’agit de traduire vers le français.
Panorama des taux de foisonnement
Selon les combinaisons de langues choisies, le taux varie. On parle de taux de foisonnement positif ou négatif. Les pourcentages généralement observés sont les suivants :
Langue source (départ) |
Langue cible (arrivée) |
Taux de foisonnement |
anglais |
français |
+20 % |
allemand |
français |
+30 % |
espagnol |
français |
0-10 % |
italien |
français |
-10 % |
néerlandais |
français |
+20 % |
japonais |
français |
-67 % |
Il est nécessaire de préciser que le décompte en japonais correspond toujours au nombre de caractères, ce qui ne s’accorde pas au nombre de mots, ce dernier étant en effet une suite de caractères compris entre deux espaces, une apostrophe ou un signe de ponctuation.
Le traducteur : un faussaire polyglotte ?
Si le volume du texte d’arrivée est plus important que le texte de départ, est-ce à dire que le traducteur veut tout faire dire aux mots en revisitant librement son propre paysage ?
La traduction étant un mode de transformation textuelle, les mots sont en mouvement pour rendre le texte intelligible, grammaticalement correct et sémantiquement juste. Il s’agit d’une transformation élaborée et réalisée à partir d’un texte existant pour être transposée consciemment. Le foisonnement est donc en partie lié aux contraintes linguistiques propres à la langue d’arrivée. On notera, entre autres paramètres, le domaine du texte et sa technicité, les effets stylistiques, le niveau de langue, la connotation… autant d’éléments qui feront varier le taux de foisonnement.
Le tout-en-un
Par ailleurs, les Anglais ont une langue plus compacte. Ils utilisent davantage de mots composés pour n’en exprimer qu’un seul lorsque nous, Français, en employons plusieurs. Leur utilisation des articles est également plus réduite. Pour la langue allemande, le résultat est encore plus flagrant ! Cela donne, par exemple :
Please = 1 mot anglais |
S’il vous plaît = 3 mots français |
Mineralwasserflasche = 1 mot allemand |
Bouteille d’eau minérale = 3 mots français |
Weltmeisterschaft = 1 mot allemand |
Coupe du monde = 3 mots français |
Domestiquer la mise en page
Assimiler le taux de foisonnement d’une traduction, c’est comprendre ce qu’il fait à l’équilibre du texte traduit. Si une mise en page spécifique ou définie doit être respectée pour le document final et pour qu’elle ne devienne pas un lieu d’expérience douloureuse, il est nécessaire de prendre en considération les inclinaisons expansionnistes de la langue et d’en faire part aux graphistes ou autres concepteurs de vos documents, qu’ils soient imprimés ou affichés sur écran.
Enfin, concluons en rappelant que le taux de foisonnement et la transcréation sont sans lien. Cette dernière vient sublimer la traduction en intégrant une vraie réflexion sur l’environnement commercial et culturel de la cible concernée. Et c’est bien là que s’exprime la pluripotentialité des mots et les pensées du traducteur-rédacteur.