Si la loi Toubon de 1994 proscrit l’utilisation des langues étrangères dans les campagnes publicitaires en France, elle impose la traduction des signatures et slogans de manière lisible lorsqu’ils sont conservés dans leur version source. Vous la voyez ? Elle est introduite par le petit astérisque que l’on retrouve en bas des affiches ou des encarts publicitaires.
La conservation d’une signature (baseline) originale au titre d’une marque déposée (que l’on pourrait considérer comme le slogan de l’entreprise) est une pirouette souvent utilisée pour échapper à la traduction. La loi s’appliquant à tout ce qui peut représenter l’offre d’un produit ou d’un service, la signature surfe en eau trouble.
La frontière entre le message publicitaire (qui est un slogan) et l’expression distinctive (qui n’est pas censée en être un) est difficile à déterminer.
Les professionnels face au dilemme de la traduction de signatures et slogans
Quelles sont alors les options pour les agences de communication et leurs équipes de concepteurs-rédacteurs ? Traduire ou ne pas traduire ? Si l’autorité de régulation intervient à titre pédagogique et qu’elle n’impose aucune sanction à proprement parler, le choix est finalement assez libre.
La notion de manque d’équivalence est souvent invoquée pour le maintien de la langue source. Le critère de l’existence ou non d’« une expression ou un terme français de même sens » semble laisser place à la subjectivité dès lors qu’il y a polémique ou litige. Il est indéniable que certains slogans méritent d’être conservés, car objectivement plus percutants, et c’est bien là leur raison d’être.
Mais encore faut-il qu’ils soient compris et parlent au plus grand nombre. Ainsi, sachant que l’objectif est d’atteindre sa cible, il est souvent plus judicieux de s’adresser à elle dans sa propre langue et en suivant ses propres codes culturels. La traduction, ou, plus justement, l’adaptation dans ce cas, sera l’option la plus sûre. Il appartient alors au traducteur de retranscrire le plus finement possible l’esprit du message initial. Un talent de concepteur-rédacteur doit aussi faire partie du profil du linguiste.
Ce sont finalement les équipes créatives et les équipes marketing qui arbitrent ensemble sur la faisabilité et la pertinence de retenir l’une ou l’autre option.
La difficile tâche de traduire un slogan
La traduction de slogans publicitaires occupe une place d’honneur chez les traducteurs. Cet exercice demande une aptitude aux jeux de langage en tous genres, une créativité à toute épreuve, une conscience aiguë des enjeux stylistiques et une capacité de projection vers l’effet escompté. La recherche de cette « équivalence dynamique » doit pouvoir triompher des embuches rencontrées en chemin. Il est rare que le résultat soit obtenu d’un premier jet.
En général, le linguiste s’immerge préalablement dans l’univers de la marque afin de bien en saisir l’esprit.
Traduire ne consiste plus ici à reproduire coûte que coûte les formes initiales, mais à rechercher dans la langue-culture d’arrivée des équivalences susceptibles d’engendrer chez le lecteur une émotion analogue.
Plus portée sur le contenu du discours ou du texte que sur la langue, la traduction doit se concentrer sur le message et sur le sens.
Lorsque les marques françaises créent leurs slogans en anglais
De manière générale, le français emprunte beaucoup à l’anglais. Parfois même à l’excès. À quelques exceptions près, lorsqu’elles ne sont pas traduites, la plupart des publicités restent dans la langue de Shakespeare.
Nous avons fondamentalement intégré les slogans « Just do it » de Nike, « Think different » d’Apple ou « What else » de Nespresso, et on ne peut nier une corrélation positive entre les slogans efficaces d’un côté et la fidélisation des consommateurs de l’autre. Pour les plus connus, leur simple évocation nous permet d’ailleurs d’identifier la marque.
Est-ce parce que l’anglais se prête bien aux phrases concises et impactantes que certaines entreprises françaises ont fait le choix de créer leurs slogans en anglais ?
Invoquant l’argument du rayonnement international et de l’universalité, Air France déclare son « France is in the air® », Orangina® nous invite à « shake the world!® » et la commune française du Grau-du-Roi se pare d’un « Let’s Grau® », finalement obtenu devant les juridictions administratives prouvant que le jeu de mots était inadaptable en français. À ce titre, l’effet miroir utilisé dans la marque territoriale OnlyLyon® n’était pas non plus envisageable en ayant recours au français.
Si les deux derniers exemples ont recours à l’anglais pour créer un jeu de mots qui n’aurait pas été possible autrement, les deux premiers ne doivent justifier leur choix que par la volonté d’être universels et de ne pas avoir à adapter leur slogan en fonction des pays ciblés. La démarche coûte sûrement moins cher.
Ce choix suppose par ailleurs que leurs cibles soient capables d’intégrer le message dans ses moindres subtilités pour y être sensibilisées. Cela est loin d’être acquis lorsque l’on s’adresse à elles dans une langue étrangère. En voulant être compris du plus grand nombre et harmoniser à grande échelle dans un « anglais global », on perd sans doute une part de créativité.
Pour Air France, on aimait bien aussi : « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ».
Le risque de « passer à côté » de la traduction de son slogan
L’histoire de la traduction déborde d’exemples d’adaptations de slogans complètement ratées. Et cela concerne même les plus grandes marques (vous en trouverez quelques exemples ici).
Réussir la signature ou le slogan permet d’entraîner une première adhésion des cibles avec la marque. Les échecs de traductions de slogans peuvent, à moindre mal, ne pas avoir l’efficacité escomptée et au pire, constituer un véritable rejet.
Il faut compter sur la créativité et le recul des traducteurs spécialisés dans ce domaine pour échapper à des traductions trop littérales. La dimension culturelle est incontournable. Les jeux de mots doivent être réinterprétés ou supprimés au profit d’une autre stratégie linguistique. L’humour comme les références socio-économiques ou politiques doivent être adaptés.
Comme nous l’avons vu, un choix relativement neutre et « passe-partout » pour le slogan source peut être une solution. Le conserver en anglais l’est aussi, mais il faut qu’il soit particulièrement percutant pour être retenu.
Regardez simplement les spécificités de chacun des slogans ci-dessous ; compliqué de conserver leur intention dans une autre langue non ?
Afflelou : « On est fou d’Afflelou »
Carglass : « Carglass répare, Carglass remplace »
Cristaline : « Ça coule de source ! »
Pierre Martinet : « Le Traiteur intraitable »
Orange : « Je suis passé chez Sosh »
Juvamine : « Si juva bien, c’est Juvamine ! »