Traduire l’humour est sans doute l’une des tâches les plus complexes en matière de traduction. Au sein d’une même culture, la sensibilité de chacun à l’humour est différente. Ce que l’on perçoit comme drôle peut varier selon notre état d’esprit, notre environnement ou notre âge. Cela étant dit, l’humour reste intrinsèquement lié à la culture dans laquelle il a été créé, et, sans y être particulièrement réceptif, on peut au moins le comprendre.
L’humour est donc culturel par essence : on ne rit pas de la même chose partout autour du globe et l’humour passe difficilement d’une langue à l’autre. Il s’agit là sans doute de l’un des concepts les plus difficiles à traduire. Pour restituer l’esprit de l’original, outre la parfaite maîtrise de la langue, le traducteur doit avoir une connaissance fine des deux cultures (source et cible) et être capable d’une bonne dose d’inventivité. Avoir un sens de l’humour avéré est par ailleurs un plus !
On l’aura compris, traduire l’humour est un véritable défi pour le traducteur, à mi-chemin entre exercice exaltant et casse-tête. Mais voyons plus en détail la complexité de la tâche et les difficultés inhérentes à cet exercice.
Traduire l’humour : un travail complexe intégrant multiples facteurs
S’il existe des blagues universelles pouvant être traduites telles quelles, la majorité d’entre elles perdraient toute saveur si elles étaient traduites littéralement. On opte donc pour une traduction créative, un peu à l’image du langage poétique qui ne trouve pas forcément un équivalent dans d’autres langues.
S’agissant de ressorts humoristiques, le traducteur se trouve confronté à plusieurs cas de figure :
Les jeux de mots
Les jeux de mots constituent un des leviers humoristiques les plus utilisés mais ils sont quasiment impossibles à traduire littéralement. Il convient donc de trouver des équivalents pertinents et capables de maintenir « l’esprit » initial et le même niveau d’humour.
Les blagues culturelles
Dans un pays ou au sein d’une culture spécifique, le sens de l’humour se construit en fonction de l’histoire, des traditions, des valeurs et des croyances qui l’entourent. Cela signifie bien souvent que seules les personnes issues de cette même culture sont capables de comprendre les nuances d’une blague ou de la trouver drôle. Par ailleurs, ce qui est drôle dans une culture peut être offensant dans une autre. Les traducteurs doivent naviguer avec précaution pour éviter de froisser le public cible et doivent notamment bien connaître les normes sociales prévalentes.
Les contextes particuliers
Le contexte joue un rôle essentiel dans la compréhension de l’humour. Les traducteurs doivent tenir compte du contexte culturel, social et linguistique pour que la blague fasse sens. Par exemple, une blague faisant référence à la politique française va nécessiter une adaptation dans le pays cible. À ce titre, il est indispensable pour le traducteur de suivre l’actualité des pays dont il traduit la langue au même titre que l’actualité de son propre pays.
Les cibles spécifiques
Connaître la cible va aider le traducteur à opter pour les meilleures options. L’humour à destination des jeunes peut notamment nécessiter d’adapter le ton, le langage et la blague en elle-même.
Les prononciations
Lorsque l’humour découle de la prononciation d’un mot ou du rythme d’une phrase, l’exercice se complique. Les jeux de mots reposant sur l’homophonie (deux mots qui se prononcent de la même manière) ou la polysémie (un mot qui possède deux sens) vont être très compliqués à traduire. Le traducteur doit alors puiser dans les subtilités linguistiques de sa langue.
Les supports texte et image
La traduction de vidéos ou de dessins humoristiques peut, selon les cas, présenter un avantage ou un inconvénient. L’image peut effectivement complexifier la tâche puisque le traducteur doit « coller » au sens à la fois du texte et de l’image. Toutefois, l’image peut également offrir un levier créatif supplémentaire. Dans la plupart des cas, une bonne dose d’ingéniosité est nécessaire.
Les stratégies pour répondre aux défis de la traduction humoristique
L’adaptation
L’adaptation est le maître-mot. Les traducteurs doivent trouver une équivalence dans la culture cible et substituer la blague de manière créative. La clé de cette substitution est de capturer l’essence de la blague originale et de s’en rapprocher le plus possible dans la langue cible. Pour les jeux de mots, cela peut passer par une traduction idiomatique lorsque cela est possible, mais pour la création de jeux de mots sans référence similaire, l’exercice devra être beaucoup plus créatif.
Concernant la dimension culturelle, si les références sont incompréhensibles et/ou choquantes, il faudra penser à un exemple tout aussi impactant mais ne relevant pas de la même image.
Si une blague repose sur une référence culturelle spécifique (une fête, par exemple), il faudra la remplacer par une référence équivalente dans la culture cible pour que l’humour reste pertinent.
Déjà au sein d’une même langue qui regroupe différentes cultures, on note des différences. Par exemple, l’humour britannique, plutôt subtil et fondé sur l’ironie, n’est pas comparable à l’humour américain, plus direct et impactant. Les traducteurs doivent être sensibles à ces nuances et les adapter aux différentes cibles.
L’explication
Expliquer une blague n’est a priori pas une bonne idée puisque le ressort humoristique va disparaître. On retrouve néanmoins ce procédé en littérature lorsqu’une note de bas de page vient disséquer l’intention de l’auteur. C’est intéressant d’un point de vue linguistique, mais la blague n’y survit pas. Ce recours aux notes de bas de page peut être pertinent dans certains cas, mais on imagine aisément qu’il soit proscrit pour une majorité de contenus et de supports.
L’invention de blagues
Lorsqu’il n’existe pas d’équivalence satisfaisante, les traducteurs doivent, dans certains cas, aller plus loin en créant des blagues qui correspondent au ton et à l’esprit de l’originale. Cela demande une créativité exceptionnelle, et un traducteur n’est pas forcément un grand humoriste.
Le choix de l’omission
Sans alternative pertinente, le traducteur peut faire le choix d’omettre la blague. Lorsque le traducteur est vraiment à court d’options, il peut supprimer entièrement la blague si cela ne dénature pas le propos initial. Cela se produit notamment lorsque les blagues sont drôles dans le contexte d’origine, mais sont considérées comme taboues dans la culture cible. Lors du sous-titrage de comédiens de stand-up américains, la suppression de l’humour relatif au sexe est à ce titre un exemple fréquent.
Le maintien du sens
Il est parfois nécessaire de sacrifier une partie de l’humour original pour préserver le sens global de la blague. Elle doit être compréhensible telle quelle. L’effet n’est pas celui escompté, mais l’objectif principal reste la compréhension.
Selon le type de contenu et de support, la façon d’aborder la tâche est différente. Une publicité, un contenu artistique (livre, film, BD ou autres), un discours, un recueil de blagues ou un spectacle d’humoristes ne présentent pas tout à fait les mêmes difficultés. Notons le cas bien particulier de l’interprétation simultanée, puisque le temps manque pour trouver des parades humoristiques.
Traduire l’humour : le cas du cinéma
La traduction de l’humour dans le cadre du sous-titrage et du doublage de films est un aspect particulièrement délicat. Les traducteurs doivent condenser les dialogues tout en préservant l’humour. Cela entraîne souvent des compromis, mais l’objectif principal est de permettre au public de profiter de l’expérience comique du film.
Concernant le cinéma, on a tous en tête des sous-titrages ou des doublages plus qu’hasardeux. Cela vaut a fortiori pour leur dimension humoristique, particulièrement complexe à traduire.
Notons que certains films ou séries s’en sortent mieux que d’autres. La série d’animation américaine Les Simpson regorge de jeux de mots et de références culturelles que la version française a très intelligemment adaptés. Dialogues et autres jeux de mots restent très drôles. Cette qualité a sans doute concouru au succès de la série en France. Plus anciens, les films des Monty Python, célèbres pour leur humour absurde, ont également été traduits avec succès dans de nombreuses langues tout en préservant leur effet comique unique. L’univers a parfaitement été intégré par les traducteurs ayant travaillé sur les différents films.
Certains ont eu moins de chance. Les jeux de mots et les références culturelles des films Austin Powers, par exemple, ont été maladroitement traduits, ce qui en a minimisé l’impact comique et a laissé le spectateur légèrement dubitatif.
Pour conclure
Traduire l’humour demande une compétence particulière. Les traducteurs qui se spécialisent dans ce domaine ajoutent souvent à leur cursus des formations spécifiques. Ils doivent développer leur sens de l’humour dans les deux langues en apprenant à repérer les jeux de mots subtils et les spécificités culturelles. Cet art complexe demande à la fois créativité, sensibilité, connaissances socioculturelles et parfaite maîtrise linguistique afin d’offrir au public cible une expérience comique authentique. Lorsqu’elle est bien réalisée, la traduction de l’humour permet de transcender les frontières linguistiques et de partager le rire à grande échelle.